Le phosphore, indispensable aux végétaux (photosynthèse, fructification…), est peu présent dans les sols sous forme assimilable[1], d'où l'usage d'engrais phosphatés en agriculture. Les conséquences environnementales peuvent être diverses : flux de phosphore vers les eaux de surface contribuant à leur eutrophisation q, apports aux sols d'éléments indésirables présents dans les engrais (cadmium, uranium…) et raréfaction des roches phosphatées au niveau mondial(a).

Baisse des apports d'engrais minéraux et consommation des stocks historiquement constitués

Le bilan de phosphore en agriculture vise à estimer, pour les sols agricoles, les entrées et les sorties cumulées de phosphore. L'importance relative des différents éléments de ce bilan a été modélisée à l'échelle de la Wallonie à l’aide du modèle EPICgrid[2]. En moyenne sur la période 2016 - 2020, les apports de phosphore par les engrais organiques représentaient 80 % des entrées, les apports par les engrais minéraux 20 %. Contrairement au cas de l'azote q, les apports de phosphore par dépôts atmosphériques sont minimes (de l'ordre de 0,5 % des entrées)[3], raison pour laquelle ils ne sont pas pris en compte dans la modélisation. C'est également le cas de la libération de phosphore par l'altération chimique des minéraux du sol (de l'ordre de 0,6 % des entrées)[4]. En moyenne sur la période 2016 - 2020, les exportations de phosphore par les cultures représentaient 96 % des sorties, tandis que les pertes vers les eaux de surface en représentaient 4 % : pertes par ruissellement de surface (2 % : entrainement de phosphore sous forme dissoute) et pertes par érosion (2 % : entrainement de phosphore présent dans les particules de sols érodés). À noter que les pertes vers les eaux souterraines sont négligeables en raison de la faible mobilité du phosphore dans les sols[5].

L'évolution du bilan modélisé de phosphore entre 1971 et 2020 montre, en moyenne par périodes de 5 ans :

  • des apports par les engrais organiques et minéraux excédentaires par rapport aux exportations par les cultures jusqu'en 2000, ce qui a entrainé une accumulation de phosphore dans les sols (bilan "entrées - sorties" positif) ;
  • une inversion de cette situation après 2000, sans entrainer de baisse des exportations, les besoins des plantes au-delà des apports d'engrais étant satisfaits par les stocks de phosphore accumulés dans les sols (bilan "entrées - sorties" négatif) ;
  • une relative stabilité de l'ensemble des entrées et des sorties de phosphore entre 1971 et 2020, sauf en ce qui concerne les apports par les engrais minéraux, dont la baisse a été régulière depuis les années '70 ; cette baisse s'explique essentiellement par le développement d'une fertilisation plus raisonnée et l'augmentation des prix des engrais phosphatés q.

À noter que ces observations, fondées sur une modélisation, restent sujettes à caution en l'absence de validation à partir de données de terrain.

Bilan du phosphore des sols agricoles en Wallonie


Baisse des flux de phosphore vers les eaux de surface

Les flux de phosphore vers les eaux de surface s'élevaient à près de 1 500 t/an en moyenne sur la période 2016 - 2020.

Après une tendance à la hausse pouvant s'expliquer par des taux de saturation des sols en phosphore de plus en plus élevés suite à des décennies d'apports excédentaires[6], les flux modélisés de phosphore des sols agricoles vers les eaux de surface ont diminué de 46 % entre les périodes 1981 - 1985 et 2016 - 2020. Cette baisse peut être mise en lien avec la baisse des apports d'engrais minéraux ayant permis une consommation par les plantes du phosphore accumulé dans les sols.

Selon les résultats de la modélisation, les pertes en phosphore par ruissellement de surface sont un peu plus élevées que les pertes par érosion. Elles s'élevaient à 55 à 63 % des pertes totales, en moyenne par périodes de 5 ans, entre 1971 et 2020, contre 37 à 45 % pour les pertes par érosion.

Flux de phosphore des sols agricoles vers les eaux de surface en Wallonie


Baisse des teneurs en phosphore disponible sur le terrain

Pour la période 2016 - 2020, les teneurs en phosphore disponible[7] des sols sous cultures des trois régions spécialisées en grandes cultures atteignaient en moyenne 6,1 (Condroz) à 8,5 mg/100 g (Région limoneuse, Région sablo-limoneuse). À titre indicatif, d'un point de vue agronomique, l'état des sols peut être considéré comme bon lorsque les teneurs en phosphore disponible sont comprises entre 4,6 et 7,5 mg/100 g[8]. Par rapport à cette gamme de valeurs, les teneurs mesurées dans ces trois régions sur la période 2016 - 2020 étaient donc en moyenne bonnes à élevées[9], avec dans ce dernier cas un risque de déséquilibre entre éléments nutritifs et de pertes vers les eaux de surface(d).

Entre 2006 et 2020, les teneurs en phosphore disponible mesurées dans les sols sous cultures montrent une tendance à la baisse en Wallonie, spécialement dans ces trois régions de grandes cultures. Cette évolution est en accord avec la baisse de l'utilisation d'engrais minéraux q et la consommation par les plantes des stocks historiquement constitués, toutes deux observées sur base des résultats du modèle EPICgrid. La hausse observée en Haute Ardenne pour la période 2016 - 2020 demande des investigations complémentaires pour en déterminer les causes.

Teneurs en phosphore disponible* dans les sols sous cultures en Wallonie et par régions agricoles

* Méthode d'extraction à l'acétate d'ammonium et EDTA


Un renforcement de la conditionnalité pour protéger les eaux de surface

Du point de vue environnemental et agronomique, les flux de phosphore vers les eaux de surface doivent être minimisés. Cet objectif peut être atteint grâce à l'application de bonnes pratiques agricoles : analyse des teneurs du sol en phosphore disponible, estimation prévisionnelle des besoins des cultures, lutte contre l'érosion, protection des cours d'eau q… Concernant ce dernier point, la conditionnalité des aides q dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) 2023 - 2027 comprend une nouvelle exigence règlementaire en matière de gestion (ERMG) intitulée "Contrôle de sources de pollution diffuse par les phosphates". Celle-ci s'applique à tous les bénéficiaires d'aides de la PAC depuis le 01/01/2023. Elle comprend (i) l'obligation de maintenir un couvert végétal permanent (ligneux ou herbacé) d'une largeur de 6 m en bordure de cours d'eau et (ii) la clôture obligatoire des terres situées en bordure de cours d'eau. Plus largement, la Stratégie européenne pour la protection des sols à l’horizon 2030 q et la Stratégie européenne "De la ferme à la table" q comprennent parmi leurs objectifs une baisse d'au moins 50 % des pertes en nutriments d'ici 2030 au niveau des sols. Cet objectif s'accompagnerait d'une baisse d'au moins 20 % de l'utilisation d'engrais.

 


[1] Les végétaux prélèvent le phosphore par absorption racinaire des ions phosphates (HPO42- et H2PO4-) présents dans l'eau interstitielle du sol. Ces ions, qui constituent l'essentiel du phosphore dit "disponible", tendent à être retenus par certains constituants du sol (oxyhydroxydes de fer et d'aluminium, complexe argilo-humique) ou à précipiter pour former des phosphates insolubles (phosphates de calcium, fer, aluminium…), ce qui les rend moins disponibles voire inaccessibles pour les plantes.

[2] Modèle hydrologique de bassin versant intégrant de nombreux paramètres (précipitations, températures, types et occupations des sols, croissance végétale, pratiques agricoles…)(b).

[3] Estimation effectuée sur base de dépôts estimés par White et al. (2021)(c) à 0,16-1,6 μmol P/(m2.jour) pour l'Europe de l'ouest, soit 13 à 132 t/an pour la Wallonie.

[4] Selon le bilan de phosphore établi pour les sols agricoles de l'UE et du Royaume-Uni par Panagos et al. (2022)(a).

[5] La lixiviation des ions phosphates (HPO42- et H2PO4-) vers les eaux souterraines est très limitée pour les mêmes raisons que celles qui réduisent sa disponibilité pour les plantes (voir note 1).

[6] La production d'engrais phosphatés minéraux a débuté au milieu du 19ème siècle. Aux apports d'engrais phosphatés minéraux et d'engrais de ferme (effluents d'élevage) se sont ajoutés pendant plusieurs décennies les apports de scories de déphosphoration dites "scories Thomas", sous-produit de la sidérurgie valorisé en agriculture. Cette source de phosphore n'est pas considérée dans le modèle EPICgrid (pas de données historiques d'épandage).

[7] Méthode d'extraction à l'acétate d'ammonium et EDTA, couramment utilisée comme indicateur agronomique de l'état du phosphore dans les sols, dont les résultats sont généralement bien corrélés aux rendements. Ces résultats ne peuvent pas être directement interprétés en termes de risques pour l'environnement, notamment parce qu'une partie des flux de phosphore vers les eaux est liée au transport via les particules de sols érodés et non à sa disponibilité dans l'eau interstitielle du sol.

[8] Sols à texture moyenne et à pH ≥ 5,5(d).

[9] Cette appréciation fondée sur des moyennes est théorique. La nécessité ou non d'un apport de phosphore doit être appréciée à l'échelle de la parcelle, en tenant compte notamment des caractéristiques du sol, de ses teneurs en phosphore disponible, des besoins des cultures et des rendements attendus.

Évaluation

d5a966a2-364d-457b-b92d-6d08de8be8c9 Évaluation de l'état non réalisable et tendance à l'amélioration

Évaluation non réalisable
  • Pas de référentiel
  • Bien qu’il n’existe pas de valeur de référence pour les flux de phosphore des sols vers les eaux de surface, l’intensité de ces flux affecte l’état des eaux, lui-même jugé légèrement défavorable du point de vue de l'eutrophisation q.
En amélioration

Les flux modélisés de phosphore des sols agricoles vers les eaux de surface ont diminué de 46 % entre les périodes 1981 - 1985 et 2016 - 2020.